La musique, c’était vraiment mieux avant ?

© Pixabay

C’est une information qui revient régulièrement, le marché du vinyle aurait explosé. Mais à l’heure du streaming et du tout numérique, on pourrait légitimement rester perplexe devant ce constat.

Les ventes de disques vinyles ne cessent de progresser, à tel point qu’elle ont dépassées en nombre et en valeur les chiffres de vente de CD aux USA ! Un retournement de situation absolument improbable il y a quelques années en arrière, et qui alimente les débats : mode ou retour aux sources ?

Des chiffres qui interpellent

Si vous êtes récemment passé dans le rayon disques de votre magasin favori, vous avez sans doute remarqué que le rayon des disques vinyles a repris des couleurs, au détriment de celui des CD.

Le phénomène est tellement sensible que les moins jeunes d’entres nous ont l’impression d’être revenu 3 décennies en arrière, à l’époque où on passait des heures à fouiller dans les bacs à vinyles, en quête de la dernière perle musicale.

Cet engouement se confirme au niveau des chiffres. L’année 2022 a ainsi vu les chiffres de vente de disques vinyles neufs dépasser ceux du CD aux États-Unis. C’était déjà le cas en termes de chiffre d’affaire (le prix de vente moyen d’un vinyle étant supérieur), c’est maintenant aussi le cas en termes de nombres d’exemplaires vendus. Il s’est ainsi vendu l’an passé 41 millions de disques noirs, contre 33 millions de CD.

© Pixabay

Les audiophiles

Ce terme désigne les amateurs de reproduction sonore Haute-Fidélité, et par extension, des matériels qui permettent de l’obtenir. Les audiophiles se tiennent au courant de l’évolution des technologies, écument les salons spécialisés et les auditoriums dédiés.

Or, ces audiophiles se caractérisent souvent par un certain conservatisme. Sans être passéiste, l’audiophile a tendance à faire confiance aux technologies qui ont fait leurs preuves plutôt qu’à se précipiter sur les dernières nouveautés. Voilà qui explique que des technologies qui peuvent paraitre totalement dépassées aux yeux du grand public, comme les magnétophones à bandes ou encore les amplificateurs à tubes, ont encore les faveurs des amateurs de beau son.

L’autre point important est que les amateurs de haute-fidélité font souvent passer le résultat final avant le confort. Le sans-fil par exemple, popularisé par le format mp3 et les enceintes Bluetooth, n’a vraiment conquis les audiophiles qu’avec l’arrivée des plateformes de streaming haute résolution, des fichiers Hi-RES et de solutions logicielles permettent de les exploiter au mieux (Roon, Audirvana, etc.) ou encore de lecteurs réseaux performants.

Tout cela explique que nombre d’entre eux ont continués à utiliser un support jugé aussi peu pratique que le vinyle, malgré l’arrivée du CD, plus facile d’utilisation mais pas toujours de qualité optimale pendant ses premières années d’existence.

Le retour du vinyle, la riposte au tout dématérialisé ?

Le retour du vinyle ne doit pas occulter le fait qu’aujourd’hui c’est bien le dématérialisé qui domine en termes d’écoute musicale, le streaming s’octroyant près de 85% du chiffre d’affaire du secteur de l’édition audio. Plus encore que les fabricants de disques et de matériel de lecture vinyle, les grands gagnants sont donc aujourd’hui les plateformes de streaming.

Il faut dire qu’elles cumulent les avantages. Pour une dizaine d’euros par mois (et moins de 20 euros pour les services de streaming audio haute définition), soit le prix moyen d’un seul vinyle, un Spotify, un Deezer ou un Apple Music donne accès à des dizaines de millions de titres dans tous les genres musicaux, ou presque. On peut accéder à toute sa musique à la maison sur son matériel hifi ou sur une simple enceinte Bluetooth, mais aussi en extérieur sur son smartphone ou sur son lecteur audio nomade. On peut créer des playlists, partager sa musique avec des amis, découvrir des suggestions de titres ou d’artistes inspirées de nos habitudes de lecture, etc. Bref, on voit mal pourquoi quelqu’un irait s’embêter avec un support plus cher, moins pratique, plus encombrant et plus exigeant.

© Pixabay

Mais le vinyle présente pourtant des avantages non négligeables :

Le vinyle que vous achetez vous appartient, alors que la musique en streaming peut être assimilée à une location longue durée. Sauf à acheter vos titres,  ce qui n’est d’ailleurs pas proposé par toutes les plateformes, loin de là, ils ne sont disponibles que tant que vous payez. Si vous résiliez votre abonnement à une plateforme de streaming audio, vous n’aurez plus accès à votre musique, ou bien alors en acceptant des coupures pubs. Alors que vous pouvez écouter votre disque vinyle tant que vous voulez sans payer plus que le prix d’achat, et surtout vous pourrez le transmette.

L’utilisation du vinyle est un rituel très apprécié des amateurs. Là où il suffit de lancer une application sur un smartphone pour accéder à sa musique en streaming, un vinyle nécessite une manipulation soignée et ritualisée, une intervention humaine. On peut se demander si cette « réappropriation » de la musique ne joue pas pour beaucoup dans le succès du vinyle. Sortir le disque de sa pochette, le poser sur la platine, lancer le mouvement et passer la brosse nettoyante, soulever le bras et poser délicatement le stylet dans le sillon au bon endroit, tout cela participe au plaisir d’écoute. En fait, ce sont les contraintes mêmes du vinyle qui font son charme.

© Pixabay

L’écoute de disque vinyle réintroduit une matérialité qui s’était perdue avec l’avènement du numérique. Lorsque vous écoutez un disque microsillon, vous voyez tourner le disque, vous voyez bouger le bras de lecture et la cellule. En rapprochant l’oreille de la cellule, vous pouvez même entendre le son du disque. A contrario, sur les platines CD, une fois le tiroir refermé et la lecture lancée, vous ne voyez plus ce qui se passe. Et je ne parle même pas de la musique dématérialisée, qui fait carrément disparaitre tout mouvement mécanique, réduisant la musique à un flux.

Le plaisir du collectionneur ! Un disque vinyle, c’est d’abord un bel objet qu’on prend plaisir à acquérir, à manipuler et à collectionner. Certaines pochettes sont de vrais chefs-d’œuvre esthétiques, d’autres ont une grande valeur sentimentale parce qu’elles vous rappellent une époque, une personne ou un voyage par exemple. Sans compter qu’une vynil-thèque se construit sur plusieurs années voire sur plusieurs décennies et prend de la valeur au fur et à mesure du temps qui passe, du fait même du caractère fragile et non duplicable du support.

Le disque vinyle nous oblige à prendre le temps et à entrer dans l’univers de l’artiste, au lieu de passer d’un titre à l’autre d’un simple appui sur les touches d’une télécommande ou d’un écran de smartphone. Sur un disque vinyle, il faudrait se relever toutes les 5 minutes pour changer de titre en relevant le bras, changeant de piste, de face ou même de disque. Cette contrainte nous amène souvent à écouter le disque dans l’intégralité d’une face, puis de l’autre. Non seulement on réapprend à écouter sa musique sans zapping, mais surtout on l’écoute dans l’ordre voulu par l’artiste. Car on l’oublie trop souvent, un disque c’est souvent l’aboutissement d’années de réflexion et de travail pour finir par choisir une pochette, un ordre des titres, une répartition sur les 2 faces, etc.

Les disques vinyles en occasion permettent de retrouver de nombreux titres qui ne sont jamais sortis en CD ou en dématérialisé. Les amateurs de la période 70-80 peuvent en parler. Pas mal de disques de cette époque ont certes été numérisés, mais très souvent à partir de bandes de piètre qualité. De ce fait, même avec les craquements dus à l’usure, ils sonnent parfois nettement mieux en vinyle qu’en CD. Et de nombreux albums n’ont carrément jamais été numérisés, souvent faute de potentiel commercial ou encore pour des questions de droits.

De nombreuses radios Fm utilisent encore actuellement les vinyles et consacrent des émissions à ce support.

Joël Dachelet